François Bégaudeau : un ado “en marge des autres”
L’auteur et scénariste d’Entre les murs nous parle de son adolescence
15Piges a eu le plaisir de rencontrer François Bégaudeau. Primé à Cannes en 2008 et césarisé en 2009 pour le film « Entre les murs », l’écrivain nous parle de son adolescence et de sa vision de la jeunesse d’aujourd’hui. L’occasion également d’en savoir plus sur sa participation en tant qu’auteur dans la pièce « J’ai 20 ans, qu’est-ce qui m’attend ? », actuellement en tournée…
Quel adolescent étiez-vous ?
Mes parents étant communistes, j’étais un ado politisé, d’extrême-gauche. Du coup, j’étais en marge des autres. Ils ne s’intéressaient pas vraiment à la politique. On dit souvent que les jeunes d’aujourd’hui sont moins politisés qu’avant mais à mon époque ils ne l’étaient pas plus que ça.
Qu’aimiez-vous faire ?
J’ai toujours beaucoup lu mais à 15 ans, j’ai vraiment compris que la littérature allait être importante dans ma vie. Je lisais des auteurs plutôt engagés comme Sartre, Camus. J’étais également très rock. D’ailleurs, sur ce point, j’étais aussi à contretemps par rapport à mon époque. Je n’écoutais pas la musique des années 1980 mais plutôt les Stones, les Led Zeppelin…
Des lectures engagées, un sens pour la politique prononcé. Etiez-vous un ado rebelle avec vos parents ?
Non, je n’étais pas dans la rébellion mais plutôt pacifique. Il faut dire que mes parents étaient plutôt libéraux…
On dit souvent que les ados ne s’intéressent pas à la culture. Vous, qui très jeune étiez déjà très attiré par les grands auteurs, qu’en pensez-vous ?
C’est un problème de société et non pas un problème lié à l’adolescence. Les adultes reprochent aux ados leur manque d’intérêt pour la culture alors qu’eux-mêmes ne s’y intéressent pas. Les parents aiment faire porter leurs propres lacunes sur les ados. Qui écoute Mozart, lit Proust ?…
Vous avez eu le bac avec mention TB, pourtant vous dites avoir détesté l’école à partir de la 6e …
J’étais programmé pour réussir. Mon père était principal de collège, je fréquentais les bons établissements, mais je m’ennuyais profondément à l’école. Beaucoup de bons élèves s’ennuient. En fait, c’est vraiment à partir de la seconde que j’ai détesté l’école. Vous savez, c’est surtout avec mon groupe de potes que j’ai appris les choses fondamentales de la vie, découvert le rock… et non à l’école.
Vous êtes pourtant devenu prof. Est-ce votre père qui vous a en donné l’envie ?
Ma vie était toute tracée, j’étais donc décomplexé par rapport à la question mais aujourd’hui, je suis content d’avoir quitté l’Education Nationale. On dit souvent que l’école est dure pour les élèves, mais c’est aussi compliqué pour les profs. J’étais dans l’embarras permanent, j’avais l’impression d’être dans une situation caduque. En tant que prof, on est surtout là pour surveiller les élèves. Et puis, même si je favorisais le dialogue, je devais fixer un cadre pour éviter les débordements. Difficile de gérer 30 enfants dans une classe…
Selon un récent sondage CSA, 76 % des Français seraient fiers que leur enfant devienne enseignant. Apparemment vous ne pourriez en faire partie…
Je pense que pour les parents c’est surtout une stabilité. L’enseignant est peut-être le poste de fonctionnaire le plus « gratifiant ». Il reste encore une petite aura de ce métier, ça dénoterait pour eux une petite réussite à l’école, les parents misant sur la sécurité avant tout. Ils ont peur pour l’avenir de leurs enfants dans ce monde de crises. Mais s’ils avaient conscience de la réalité de ce métier, ils changeraient d’avis. A moins qu’ils n’aiment pas leurs enfants et que cela soit punitif (rires).
Vous parlez de l’inquiétude des parents sur la stabilité professionnelle des jeunes. C’est un peu l’objet de votre dernière pièce « J’ai 20 ans qu’est-ce qui m’attend ? »…
Tout d’abord, c’est collectif, je n’ai fait qu’un texte. On s’est documenté, on a rencontré des jeunes gens. Ce premier volet, « Logement travail », traite de la généralisation de la précarité qui touche les 20-30 et même 40 ans dans notre société. Pour ma part, j’ai choisi de parler de l’absurdité totale du système de stage. C’est comme si on disait aux jeunes, il y a de la place pour vous et en même temps, il n’y en a pas. Cela démontre un réel problème pour intégrer les jeunes au sein de notre société. Il y a des demi-mesures, des demi-postes. Avec les autres auteurs de la pièce, on a voulu parler de la situation majoritaire de la jeunesse. Car à côté de la minorité qui réussit parce qu’elle se trouve dans le sillon dans lequel moi-même j’étais, et à côté de l’autre extrême marginalité : la grande majorité sont des jeunes touchés par le chômage et la délinquance. On souhaitait mettre en avant ce phénomène non spectaculaire, ni d’extrême misère ni d’extrême richesse. Une jeunesse qui a, selon moi, complètement assimilé cette situation et qui a une capacité incroyable au système D.
Dans le film réalisé par Laurent Cantet « Entre les murs », inspiré de votre livre et dans lequel vous jouiez votre propre rôle, il est question d’adolescents en difficulté. Vous vouliez décrire un problème d’ordre social ou lié plus spécifiquement à l’adolescence ?
Le souci d’ « Entre les murs », c’est qu’on a l’impression que c’est un problème sociologique lié à l’intégration alors que c’en est un en général. Aujourd’hui, je referais le film autrement. Car même si les problèmes sont plus marqués au sein des populations défavorisées, ils existent aussi dans les quartiers fréquentés par les élites. Ils s’expriment juste différemment. J’estime qu’il y aura toujours des soucis tant les élèves n’iront pas à l’école par envie. On ne peut pas continuer à humilier les gens de cette façon. En tant que marxiste, je ne peux cautionner ce système, qui du point de vue des classes populaires, fabrique beaucoup plus d’humiliation que d’émancipation. C’est compliqué d’assumer ça. D’ailleurs, je dois être la seule personne en France qui réfléchisse à supprimer l’école.
Mais que pourrait-il y avoir à la place ?
J’appellerais cela un service d’éducation non obligatoire qu’on mettrait à disposition de ceux qui le veulent. Il y aurait tout : de la pâte à modeler, de l’histoire, du badminton… Tant que l’école sera obligatoire, ça n’ira pas. On ne peut pas forcer les gens à apprendre.
En tant qu’ancien prof, quels conseils donneriez-vous aux parents d’ados ?
En tant qu’anarchiste et n’étant pas père, il est difficile pour moi de donner des leçons. Le seul rapport que j’ai avec l’adolescence c’est avoir été être prof pendant dix ans. Je considère que cette position ne donne pas accès à l’adolescence. C’est un rapport extrêmement biaisé. Un enseignant voit les jeunes assis et silencieux. Alors qu’un ado est quelqu’un qui bouge, qui parle, qui déconne… c’est ce que j’aimais dans mon adolescence, la santé, la tchatche, courir, faire du sport. Et c’est globalement ce qui est interdit par un ado en présence d’un prof. En tant que libertaire, je peux juste dire que je ne crois pas à la coercition. Pour moi, être parent est un métier de droite, même les parents de gauche le sont. Ils veulent la sécurité. Autant j’admets que c’est une question de survie pour des petits enfants qu’on doit protéger, autant pour les ados je dirais aux parents : c’est peine perdue. Vous perdez sur tous les tableaux : le déshonneur de l’autorité, sans en avoir l’efficacité…
Enfin, quelles sont, selon vous, les différences entre les ados de votre époque et ceux d’aujourd’hui ?
La vraie différence à mon sens, c’est la fracture numérique. Ils arrivent à faire des choses qu’on ne faisait pas. Ils ont une autre façon de communiquer, d’échanger, c’est très troublant.